vendredi 3 janvier 2014

Chambre 2, de Julie Bonnie


En bref :
Béatrice travaille en maternité.  Au fur et à mesure des chambres, elle croise des destins et des expériences de vie fortes, douloureuses, honteuses, poignantes.  Comment réagir face à tous ces destins de femmes, du déni à la peur, de la peine à l'émerveillement d'une naissance ?  Un tsunami d'émotions qui la plonge dans son passé de danseuse nue, de violons, de bohème, et d'amour.  Une sensibilité à fleur de peau  face à ce que nous impose la vie qui s'approche de la folie mais qui lui fait douloureusement percevoir la dure réalité de l'enfantement.

Mon avis:
Poignant hommage à la femme, au corps, à la naissance. Dur, chamboulant, révoltant parfois, ce livre m'a enveloppé dans un tourbillon de vibrantes émotions.  Face à ces femmes en morceaux, à ces éclats d'âmes et ces expériences de vie, on réfléchit.  Cette fille qui se croit folle, l'est-elle plus que ceux qui la trouve différente ?  Vivre là où l'on ne trouve pas sa place, dans un moule qui n'est pas à sa taille, tenter de se fondre dans une existence où le fantôme du passé nous hante, témoin d'un bonheur pur mais évaporé. Enfermé dans une blouse, un bleu de travail ou un deux pièces et tenter de survivre, quelle utopie.  Les chambres se succèdent, les vies défilent et, alors que je lisais un extrait à mon chéri qui ne comprenait pas, ce poème émouvant dédié à la féminité me faisait pleurer.


Extrait :

"Dans la chambre 11, une femme a fait un déni de grossesse.
Mais maintenant, il y a un bébé.  Cette très jeune femme avait rendez-vous cinq jours plus tôt au planning familiale pour une IVG.  Un avortement. On dit IVG pour être poli. (...). J'imagine le choc.
- Mais vous vous trompez.  j'ai toujours mes règles. Je ne veux pas de cet enfant.
- ...
-  Vous pouvez me dire si c'est un garçon ou une fille ?
Grégoire est né.  Un bébé, deux milles quatre cents soixante grammes à la naissance. La mère lui a retrouvé son papa.
- Est-ce ce que ce serait possible de mettre Grégoire dans la couveuse , parce que ses mains sont froides ?  Et j'ai l'impression qu'il a tout le temps froid.  Il lui faut une couveuse pour se réchauffer, et aussi pour qu'il grossisse un peu...
-  Vous savez madame, la couveuse la plus efficace, c'est vous.  Si vous pensez qu'il a froid, il faut le mettre en peau à peau contre vous.
- Ha bon  ? (...) Je me mets dans le lit ? J'enlève le haut ?
- Oui.
Pendant ce temps, j'ai déshabillé le bébé.  Le corps de la dame dans le lit est juvénile. Personne n'imaginerait qu'elle vient d'accoucher. Elle essaie de prendre son bébé mais elle est très, très maladroite, et finalement elle me laisse faire.  J'installe entre  les seins de sa mère ce tout petit bébé qui ne se réveille pas du tout.  Et je les colle l'un à l'autre en les enveloppant bien dans un drap. La dame ne dit rien. Elle ne bouge pas. Tout à coup, un énorme sanglot  surgit de son corps.
Des larmes énormes roulent sur ses joues et dégoulinent sur la tête du petit bébé.  Elle pleure.  Elle pleure.  Elle rit un peu aussi.  Elle réalise, là, sous mes yeux.  C'est moi qui ai posé le bébé sur elle.  Et elle rit et elle pleure. Je la vois tomber amoureuse.  C'est comme si une nouvelle couleur venue de nulle part, comme si de l'indigo de l'arc-en-ciel de mon enfance avait envahi toute la pièce.  Son visage est indigo, le bébé est indigo, les murs de l’hôpital deviennent indigo, et petit à petit mes mains sont indigo, puis mes bras, mes cheveux.  Une couleur nouvelle ruisselle sous mes yeux.
Alors mes larmes indigo coulent d'un coup.  Et je reste un peu à pleurer avec elle.  J'assiste à la naissance d'une mère.  Le spectacle, si près de moi, est à la hauteur de toutes les peintures religieuses du monde. C'est ça, un miracle.  Pour nous deux, seules." 

***

J'arrête là car je serais capable de vous écrire tout le livre :-)

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